Une nouvelle espèce dans les eaux froides et profondes de l’Océan austral : le poisson-limace à mâchoire oblique

Tous les ans, des milliers de nouvelles espèces sont découvertes, et pourtant aucun média n’en parle. Car pour des gens non initiés, la différence n’est pas toujours visible: une mouche est une mouche, un poisson est un poisson… Mais il y a la petite différence qui indique que c’est quelque chose de nouveau. Chaque découverte a son histoire. Certaines sont plus originales les unes que les autres, bien que l’intérêt médiatique soit quasi-nul. Cet article présente comment une espèce de « poisson-limace » a été découverte au large des îles Kerguelen et Croze: le poisson-limace à mâchoire oblique ou Paraliparis obliquosus.

Chaque été austral, des campagnes de pêches à la légine (Dissostichus eleginoides) ont lieu au large des îles Kerguelen et Crozet (Océan austral). Plus de 5000 tonnes de poissons téléostéens sont récoltées tous les ans. Les pêcheries sont contrôlées par les Territoires Australs et Antarctiques rançais (TAAF). Ainsi pour assurer la surveillance des stocks de légine dans leur environnement, chaque capture est mesurée, pesée, sexée et le contenu stomacal observé. La légine étant un poisson prédateur de grande taille (70 cm de moyenne pour une longueur maximale dépassant les 2 mètres; Fig. 1), elle se nourrit principalement de crustacés et de poissons téléostéens (poissons-lanternes, lanciers…).
Le 3 octobre 1999, le palangrier « Cap Kersaint » capture au large des îles Crozet une légine dont le contenu stomacal révèle la présence d’un poisson d’environ 10 cm en mauvais état, mais inconnu des membres de l’équipage. Il est en mauvais état car il se présente en deux morceaux, de même la peau, la queue et les yeux sont manquants. Ce spécimen a été envoyé au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) pour identification.
Durant cette même période, une étude a été menée dans l’archipel de Kerguelen pour étudier l’impact des prédateurs tels les manchots et les otaries sur les poissons pélagiques (campagne ICHTYOKER). Le 5 décembre 1999, un juvénile de « poisson limace » a été
capturé et également envoyé au MNHN.
Les Liparidés, ou poissons-limaces, sont des poissons trapus recouverts d’une gangue
gélatineuse avec une très grande diversité morphologique. On les
rencontre dans tous les océans du globe mais ils sont très difficiles à
capturer. Très peu d’éléments sont connus concernant leur biologie et leur mode de vie. Néanmoins plus de 300 espèces sont actuellement connus, et à chaque campagne scientifique de prospection, de nouvelles espèces sont découvertes.
En 2002, le Professeur Guy Duhamel (MNHN) et le Docteur Natalia Chernova (Institut Zoologique de l’Académie Russe des Sciences de St Petersbourg), spécialistes en poissons limaces (ou Liparidés), se sont penchés sur ces deux spécimens. En observant les nageoires, la bouche et la structure du squelette, ils en ont conclu que les deux individus appartiennent à une même nouvelle espèce : Paraliparis obliquosus ou poisson-limace à mâchoire oblique. Le spécimen en mauvais état a permis de décrire la tête, et le juvénile, le reste du corps (Fig. 2).

Figure 2: Reconstruction d’un individu adulte appartenant à l’espèce Paraliparis obliquosus. (Chernova et Duhamel 2003)
Ainsi il s’agit d’un poisson trapu de petite taille (environ 10cm) dont la tête et le corps sont recouverts d’une gangue gélatineuse. La peau est noirâtre sur le corps, et les cavités buccales et branchiales ainsi que le péritoine sont de couleur noire. Les nageoires pectorales sont larges et divisées en 2 parties ; le lobe inférieur atteint la région jugulaire. Il n’y a pas de nageoire pelvienne. Les pores sensoriels sont bien marqués sur la tête. L’ouverture buccale est oblique. Les ouvertures branchiales sont peu importantes mais atteignent le niveau des troisième et quatrième rayons des nageoires pectorales. Enfin cette espèce ne compte que 5 rayons à la nageoire caudale.
La famille des Liparidés est à l’image de l’océan austral : très peu de choses
sont connues. Et en réalisant davantage de programmes d’inventaires faunistiques avec des moyens conséquents, beaucoup d’autres secrets nous seront dévoilés.

Chernova N.V. & G. Duhamel (2003).A new species and additional records of Paraliparis (Scorpaeniformes: Liparidae) from the Southern Ocean with a provisional field key to juveniles
Nouvelle espèce et nouveaux signalements de Paraliparis (Scorpaeniformes : Liparidae) de l’océan Austral, et clé provisoire pour identifier les juvéniles. Cybium 27(2), p 137-151. http://www.mnhn.fr/sfi/cybium/numeros/french/272/10.sumchernova.html

Biological classification: 

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